Analyse de séquence : L'exfiltration de Madeleine

Association de bienfaiteurs

Grâce à la carte de visite professionnelle que Samuel lui a donnée, Tom dispose d’un atout de taille qui le rend en mesure de répondre favorablement à la requête de Madeleine. Hospitalisée depuis son malaise, la vieille dame n’en peut plus de rester seule dans sa chambre médicalisée et souhaite rentrer chez elle pour y retrouver la compagnie de ses chiens. « Il faut me sortir de là… », confie-t-elle à Tom lorsqu’il lui rend visite durant sa convalescence.

Cette demande ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd et l’idée va germer dans la tête du gamin. Secondé par Samuel au volant de son corbillard, Tom met sur pied une véritable opération d’exfiltration, digne des meilleurs films d’espionnage, qui va par ailleurs sceller le rapprochement entre père et fils.

Mission pas impossible

Dès les premières images, la séquence obéit aux canons du genre. Tandis que Samuel fait le guet à l’extérieur [01], Tom rassemble les affaires de Madeleine [02] pendant qu’elle enfile un gilet à la hâte [03]. Les plans sont brefs, la caméra détaille chaque geste et chaque mouvement avec précision, le tout accompagné par une musique minimaliste qui rythme le déroulement de l’action, à la manière d’un métronome. La coordination entre les exécutants est réglée à la perfection. Pas de temps morts, pas d’hésitation : les bagages qui pourraient paraître louches sont évacués par la fenêtre grâce à l’initiative de Samuel [04-05]. Au moment où le trio s’apprête à quitter la chambre, la tension dramatique est soulignée par le retentissement d’une ligne de basse qui s’ajoute à la partition sonore.

Tom transporte Madeleine dans un fauteuil roulant [06]. Les deux complices s’efforcent d’afficher une expression neutre pour ne pas éveiller les soupçons du personnel hospitalier, et ils adaptent la vitesse de leur progression en conséquence. Mais, comme il se doit lors d’un pareil morceau de bravoure, la mise en scène dilate le temps pour développer le suspense : ils empruntent d’abord un long couloir [07], filmé avec un objectif de longue focale qui floute l’arrière-plan, rendant l’issue incertaine ; puis ils traversent une cour intérieure [08], ce qui les place dangereusement à découvert. La multiplication des angles de prise de vue [09] exacerbe la montée de la tension et amplifie la distance à parcourir, pendant que Samuel se ronge les sangs derrière le volant de son corbillard [10].

Lorsqu’ils arrivent au niveau du bureau d’accueil de l’hôpital, la secrétaire de garde constitue un obstacle considérable [11]. Elle les interroge sur leur destination et s’empresse de savoir si les infirmières ont bien été informées de cette « promenade dans le jardin » improvisée. L’employée reste assez perplexe [12], mais grâce à leur connivence communicative et à leur sens de la répartie partagée [13], Tom et Madeleine parviennent néanmoins à sortir de l’établissement sans difficulté [14].

À l’extérieur, c’est au tour de Samuel d’entrer significativement en action. Il s’assure que personne n’a surpris la machination [15] puis aide Tom à installer la vieille dame sur l’un des sièges du corbillard [16]. Les trois compères quittent alors les lieux sans encombre [17]. La musique métronomique qui a servi de chronomètre sonore durant la totalité de l’opération s’arrête. Tout danger est désormais écarté.

La réussite est totale : le plan conçu par le gamin s’est déroulé sans aucun accroc. S’il s’était agi d’un thriller réalisé par Brian De Palma, du type Mission impossible, le personnage d’agent secret interprété par Tom Cruise n’aurait pas fait mieux !

La belle équipe

Chez Madeleine, le quotidien a repris son cours normal et paisible. Les chiens savourent le succès de la mission en mordillant à pleines dents les friandises qui leur ont été distribuées pour l’occasion [18]. Sous le regard attendri de celle qui a enfin retrouvé son foyer [19], les deux coéquipiers assis côte à côte sur le perron [20] profitent eux-aussi de ce moment de détente après une expédition à haute teneur en adrénaline. Samuel a joué le jeu jusqu’au bout : il est entré dans l’imaginaire de l’enfant, lequel a probablement conçu le rapatriement de Madeleine en s’inspirant de ses lectures ou d’un film d’action hollywoodien. Samuel dispose dès lors de l’entière confiance de Tom, qui rit de bon cœur à la blague de son partenaire [21-22] lorsque ce dernier lui indique qu’il doit retourner à des activités professionnelles beaucoup plus prosaïques (« Bon, ben moi, j’ai un mort à aller chercher ! »).

En se dirigeant vers son corbillard, Samuel fait semblant de trébucher [23] pour amuser l’enfant [24], à la manière d’un acteur burlesque, comme une façon de prolonger sur un mode comique le grand moment de pastiche cinématographique qu’ils viennent de partager. « On fait une belle équipe toi et moi, hein ? » [25], lance-t-il à Tom avant de reprendre la route.

Le gamin reste seul assis sur les marches et regarde le fourgon funéraire quitter la propriété [26], songeant sans doute à toutes les réjouissantes opportunités que procurerait cette « belle équipe » familiale rassemblée au complet [27].