Après le sauvetage de Madeleine, Tom ne rentre pas chez lui comme on pense qu’il va le faire, étant donnée l’expérience émotionnellement éprouvante à laquelle il vient de faire face, et qu’il a d’ailleurs su négocier avec une assurance qui ferait défaut à bien des adultes. Au contraire, il reste sur place et s’offre une visite privée de l’endroit.
On devine sans peine ce qui motive sa curiosité : aux yeux de l’enfant, la vaste maison ressemble à un château, tant elle est à l’opposé du mobil-home exigu dans lequel il vit avec sa mère en bordure de forêt. La découverte des lieux va alors se doubler d’un voyage dans le passé de celle qui semble avoir toujours vécu entre ces murs.
Tom possède la passion des livres et le goût des mots, comme le montrent plusieurs passages du film. Du fait de son jeune âge, sans doute n’a-t-il pas encore lu Marcel Proust ; toujours est-il que le prénom de la propriétaire du château, « Madeleine », s’avère tout indiqué pour partir à la recherche du temps perdu…
Si l’on en juge par le comportement des chiens, le visiteur impromptu n’a rien d’un intrus, bien au contraire. Les animaux lui font la fête avec insistance [01], comme pour le remercier d’avoir su répondre à leur message d’appel à l’aide [voir analyse de séquence Le sauvetage de Madeleine].
Passée cette fougueuse démonstration de gratitude canine, Tom quitte la cuisine et commence son exploration. Sa progression dans l’espace est rythmée par le seul bruit de ses pas, et la caméra le suit de dos en plan serré [02], ce qui procure à la scène une certaine solennité, tout en installant un climat de tension diffuse, entérinée par un brusque raccord à 180° [03] au moment où retentit le roucoulement d’un pigeon, accompagné d’un fracas indistinct et du battement d’ailes d’un oiseau résonnant dans la cage du grand escalier. La source de ces différents bruits n’est pas visualisée, ce qui accroît le sentiment d’étrangeté. L’attention de Tom se porte sur des éléments de décoration, qui lui paraissent sans doute aussi singuliers que peu rassurants : un plafonnier en forme de rapace [04] qui, vu depuis le poste d’observation du gamin, semble pris au piège d’un filet figuré par les barreaux de la rampe d’escalier ; puis une tête de sanglier empaillé [05] accrochée au mur, ayant l’air de le toiser fixement, comme un cerbère pétrifié qui lui refuserait le passage. L’atmosphère générale côtoie dès lors le registre fantastique : et si les bruits entendus tout à l’heure provenaient de ces deux gibiers inanimés ? En tout état de cause, la mise en scène vise à susciter ce type d’interrogation.
Tom reste immobile pendant plusieurs secondes sur le seuil de cet univers déroutant [06]. Vêtu d’un blouson bleu aux montants rouges et d’un sweat à capuche vert, le garçon constitue la seule manifestation colorée dans cet environnement uniformément monochrome, composé de teintes sombres et de surfaces blanches. La tenue vestimentaire de Tom le désigne alors visuellement comme un corps étranger, presqu’une anomalie dans ce décor austère, dont les proportions imposantes ne font qu’accentuer la petite taille de l’enfant autant que l’incongruité de sa présence.
Le nouveau raccord à 180° qui suit procède à une sorte d’assomption soudaine : Tom est désormais filmé de dos [07], face à une fenêtre laissant entrer la lumière du dehors et provoquant de la sorte un fort effet de contrejour. La neutralisation chromatique qui en résulte fait alors office de « laisser-passer ». En tant que silhouette habillée d’obscurité, le jeune garçon s’avère dorénavant conforme à l’ambiance expressionniste de l’endroit, ce qui l’autorise d’une certaine façon à pénétrer dans les étages.
Quand il pousse la porte de ce qui semble être le bureau de Madeleine (ou son cabinet particulier), la lumière change radicalement de nature [08]. Du monochrome crayeux, on passe à un éclairage mordoré et chaleureux, qui fait d’emblée porter l’accent sur la valeur intime et sentimentale de cet espace-cocon. La pièce regorge en effet d’un amoncellement de papiers divers, de bibelots soigneusement conservés et de différents objets datant de l’enfance de Madeleine [09-10]. Tom s’attarde sur un livre à la couverture rouge [11] : il s’agit du fameux recueil de contes des frères Grimm [12], un vrai trésor à plus d’un titre. Car nous sommes ici face à la scène-clé du film, celle qui procure virtuellement au spectateur la piste de lecture indispensable pour appréhender à leur juste mesure les aventures du protagoniste et de son entourage. En effet, comme on l’a vu [Cf. Analyse du film Tom], Tom chemine secrètement sur les brisées du conte de fées traditionnel, dont il transpose avec brio les motifs et les figures dans un contexte contemporain.
La deuxième pièce dans laquelle entre le visiteur [13] se caractérise cette fois par la blancheur. De puissants rais de lumière traversent les persiennes [14] et se réfractent sur les morceaux de cristal ouvragés du lustre suspendu au plafond. Les ornements du luminaire scintillent alors comme des diamants [15], projetant leur rayonnement sur un autre élément de décoration placé devant un miroir et composé d’un assemblage de petits globes de verre [16]. Pour Tom, la visite du château est ainsi symptomatiquement ponctuée de rencontres lumineuses, au sens propre comme au sens figuré, préfigurant la nature des relations qu’il va entretenir avec Madeleine, lesquelles vont changer le cours de l’existence de l’enfant, d’une façon on ne peut plus positive. Le présent voyage au cœur du temps passé accueille dès lors naturellement les premières lueurs de sa vie à venir.