Lors de sa deuxième excursion clandestine dans la propriété de Madeleine, Tom est confronté à des circonstances inhabituelles face auxquelles il fait montre d’une maturité peu commune pour un enfant de onze ans. Volontiers introverti, solitaire et taciturne, le jeune garçon dispose néanmoins de ressources insoupçonnées qui lui permettent de gérer avec efficacité une situation pour le moins délicate. La séquence du sauvetage de Madeleine révèle en effet un authentique héros en miniature, aussi discret que valeureux.
Tom a l’habitude d’aller prélever en douce son quota de pommes de terre dans le potager de la voisine. C’est pour lui la routine de la débrouille alimentaire quand les fins de mois de Joss sont difficiles. Pourtant, dès qu’il se met en chemin, il s’aperçoit confusément que ce jour-là n’est pas tout à fait comme les autres. Cela tient d’abord à très peu de choses, mais ces petits riens se multiplient sur sa route. Juché sur son vélo, il passe devant un édifice religieux, une sorte de petite chapelle [01] vers laquelle il tourne la tête, comme s’il ne l’avait jamais remarquée auparavant. Le ciel gronde et il se met brusquement à pleuvoir [02-03], tandis que l’on peut déjà entendre très distinctement les aboiements plaintifs des chiens, bien que Tom se trouve encore à bonne distance du domaine. Quand il arrive à destination, il constate que le portail de l’entrée est grand ouvert [04], alors que d’ordinaire il ne l’est pas. Ce qui ne manque pas d’attirer son attention [05], au même titre que le râle des animaux, qui résonne toujours selon le même volume depuis le début de la scène, comme si le point d’écoute n’avait pas changé. Ce subtil travail sonore vise à établir une sorte de lien télépathique entre le gamin et les chiens, lesquels semblent dès lors adresser leur appel à l’aide en direction de Tom personnellement. Comme on l’a déjà exposé [Cf. Analyse du film Tom], la singularité principale du film consiste à reconfigurer souterrainement l’imaginaire des contes de fées, dans lesquels les animaux sont souvent doués de la parole – ce que la bande-son s’emploie à formaliser ici, d’une certaine façon.
Quoi qu’il en soit, l’ouverture de cette séquence est traversée de différents épiphénomènes qui sont autant de signes avant-coureurs du dérèglement en cours, dont la source est d’abord pleinement révélée au spectateur lors d’un brusque changement d’axe [06], tandis que le personnage est toujours posté à l’extrême arrière-plan.
À l’intérieur de la serre, la vieille dame est étendue sur le sol [07], inconsciente. Malgré tout, le gamin ne cède pas à la panique. Il fait même preuve d’un sang-froid imperturbable et porte secours à Madeleine en utilisant un charriot de fortune [08] trouvé à proximité du bâtiment. On ne sait pas vraiment comment il s’y prend, mais toujours est-il que Tom parvient à hisser Madeleine sur le plateau de la charrette. La manœuvre fait en effet l’objet d’une ellipse : on passe directement de la découverte de l’embarcation à l’opération de sauvetage, par le biais d’un simple raccord cut, si bien que la procédure de montage octroie à Tom une sorte de « super-pouvoir » qui le rend parfaitement maître de la situation.
À ce stade de la scène, on ignore si Madeleine est encore vivante. Lors du transport, elle reste immobile et elle est toujours sans connaissance [09]. Montré en gros plan, le bras de la cariole possède la forme d’un crucifix [10], ce qui n’est pas de très bon augure. Une prise de vue en demi-ensemble la représente ensuite telle une gisante au teint blafard [11], avant qu’un plan rapproché saisi en plongée ne vienne souligner les traits figés de son visage et ses yeux clos [12]. De surcroît, quand Tom s’approche de la maison, la caméra reste dans le sous-bois, en position basse, puis regarde les personnages s’enfoncer dans la ligne de fuite et dans la zone de flou [13], suggérant ainsi l’idée de l’extinction vitale.
Mais les conditions météorologiques changent soudainement une nouvelle fois. Il ne pleut plus, le ciel se dégage et un puissant rayon de soleil illumine la façade de l’imposante demeure [14]. Madeleine a été installée dans un fauteuil et manifeste désormais quelques signes de vie par le mouvement de sa tête et de ses paupières [15]. Tom appelle les secours [16] puis prépare à la hâte les affaires de la souffrante [17]. L’opulente bâtisse a beau accuser les assauts du temps (la peinture de la cuisine est écaillée sur tous les murs), on constate toutefois que l’intérieur est aménagé avec des meubles de prix et décoré d’objets de valeur, témoignant du statut social passé de la propriétaire, probablement issue d’une riche famille bourgeoise des environs. Un montage très resserré fait quasiment coïncider le coup de fil avec l’arrivée des pompiers, amplifiant à nouveau l’exceptionnelle efficience de Tom, qui ne prononce d’ailleurs pas un seul mot durant l’enchaînement rapide des différentes actions (il parle au téléphone bien sûr, mais le découpage escamote sciemment le contenu de la conversation).
Lorsque les secours emmènent Madeleine sur un brancard, une lumière vive en provenance de l’extérieur accompagne cette fois-ci le départ de la malade [18], laissant présager une issue positive concernant son état de santé. Tom assiste la vieille dame jusqu’à la fin de l’intervention. Quand les pompiers quittent les lieux, il reste sur le perron [19] puis rentre à l’intérieur de la maison en refermant les portes derrière lui [20]. Car c’est là désormais qu’il va élire domicile, de façon intermittente mais de manière décisive.